Par Vues intérieures, le 16 mai 2020
“Période historique oblige, nous continuons d’explorer l’accessibilité culturelle en période de confinement ou de prudent déconfinement…
Au fil des semaines, malgré notre optimisme du début et malgré l’offre pléthorique de contenus culturels disponibles sur internet et à travers les réseaux sociaux, il faut bien reconnaître qu’il existe peu d’opportunités accessibles aux personnes déficientes visuelles, qu’elles soient aveugles ou malvoyantes, notamment en raison d’un site internet incompatible ou peu compatible avec un lecteur d’écran, par exemple, ou parce que la diffusion d’un spectacle, telle une pièce de théâtre, n’est pas disponible en audiodescription. Heureusement, il existe quand même quelques initiatives dont l’article de France 24 datant du 13 avril dernier, Covid-19 en France : quel accès aux contenus culturels pour le public aveugle durant le confinement ? , recense une bonne partie. A ces exemples, nous pouvons ajouter aussi Le Musée à la maison où des œuvres d’art issues des collections de musées de la Ville de Paris sont audiodécrites par l’association Valentin Haüy.
Mais penchons-nous plus précisément sur celle fort réjouissante des Souffleurs d’Images dont nous avions parlé à l’aube de ce blog ici et dont le principe reste le même . Pour en savoir un peu plus sur cette initiative, nous avons eu un échange téléphonique avec Catherine Mangin, responsable du service Souffleurs d’Images au CRTH depuis 2016.
Les Souffleurs d’Images
C’est donc Catherine qui nous présente ce service : “« Souffleurs d’images », en temps normal, hors période de confinement s’entend, a pour but d’accompagner les publics aveugles et malvoyants au théâtre ou au musée à leur demande. L’idée, c’est vraiment que la personne déficiente visuelle identifie un spectacle ou une exposition qui l’intéresse, réserve sa place au tarif en vigueur auprès d’un lieu partenaire avec le service « Souffleurs d’images » et, ensuite, nous prévient pour qu’on la mette en lien avec un bénévole. Les bénévoles souffleurs d’images sont des étudiants en art ou des artistes qui ont été formés à cette action et qui répondent en fonction de leurs disponibilités et de leurs envies aux demandes des publics aveugles et malvoyants. Ils leur donnent ensuite rendez-vous pour se rendre sur le lieu de l’évènement culturel et pendant la pièce ou la visite de l’exposition, le souffleur d’images adapte ses descriptions, son discours, aux volontés de la personne aveugle ou malvoyante. Par exemple, si la personne est plus intéressée, au théâtre, par les descriptions de costumes, la description du souffleur peut plus porter sur ces éléments-là. Il y a un temps d’échange également qui se crée entre les deux. Ce n’est pas une médiation en tant que telle, c’est plus un accompagnement, c’est plus un partage d’expériences, un échange sur vivre un évènement culturel et ce type d’accompagnement est proposé actuellement dans une centaine de lieux culturels en Région Parisienne et dans certaines autres villes en France, réseau que nous sommes en train de développer. Les lieux culturels passent une convention de partenariat avec le service qui facilite l’accès et la réservation de la personne en situation de handicap avec un bénévole souffleur d’images qui lui, est invité par le lieu culturel et aussi, ça permet de sensibiliser, dans un premier temps et dans une moindre mesure, les lieux culturels à l’accessibilité pour les publics aveugles et malvoyants.”
Pour la saison 2018/2019, le service a été sollicité pour 268 demandes de soufflages, les demandes pour des expositions étant légèrement supérieures aux demandes pour du théâtre ou autre spectacle vivant. Sur cette même saison, le service avait également développé des partenariats avec plusieurs festivals en Ile de France mais aussi en province.
Malheureusement, dans le contexte actuel que nous connaissons, ce principe de rencontre et d’échange dans des lieux culturels ne peut plus fonctionner. Le service des Souffleurs avait d’ailleurs pris les devants en annulant les soufflages prévus dès la semaine avant le début du confinement, tenant compte de l’extrême proximité que nécessite un soufflage au creux de l’oreille et qui ne respectait pas les gestes barrières.
Appels d’art
Appelée “Appels d’art solidaires”, cette initiative est née dans les premiers jours du confinement débuté le 16 mars 2020. Laissons, là aussi, la parole à Catherine : “ça s’est mis en place au début du confinement. Nos avions arrêté toutes les activités quelques jours avant le confinement (…) parce qu’avec cette proximité due au soufflage, on ne pouvait pas prendre de risque, et on avait notamment une sortie de groupe qui était organisée le 18 mars au Jeu de Paume qui a donc été annulée. Et on s’est posé la question de savoir comment on pouvait proposer une solution alternative pendant la période de confinement. L’idée s’est développée vraiment pendant la première semaine où on a vu passer beaucoup de contenu sur les réseaux sociaux, des contenus culturels mis gratuitement en ligne avec des visites virtuelles de musées, d’expositions. L’idée a été de mailler un peu les choses et de faire appel à tous les bénévoles souffleurs qui étaient disponibles parce que tout le monde était un peu dans le même cas, et d’essayer de proposer cet accompagnement à distance par téléphone. Et la première demande de soufflage d’œuvres d’art s’est faite le 20 mars, ça a été vraiment le début du service, et on l’a appelé « Appels d’Art » d’une manière générale et générique parce ce qu’on a eu aussi, avec des publics qu’on n’avait pas l’habitude de toucher, des demandes de lecture. (…) Ce qui a changé aussi sur ces appels d’art, c’est qu’on ne les propose plus uniquement à des publics aveugles et malvoyants, on peut les proposer à des personnes qui sont isolées, en situation de précarité ou qui n’ont pas accès aux ressources numériques. Et notre communication est plus nationale parce qu’il n’y a pas nécessité, comme dans le soufflage basique où l’on rencontre la personne qu’on accompagne, d’être dans le même lieu, là, on peut appeler quelqu’un qui est à Perpignan, à Bergerac, et peu importe d’où on l’appelle.”
Lors de notre échange téléphonique, à la toute fin du mois d’avril, Catherine annonçait 150 soufflages réalisés sur ces cinq semaines. Quand on sait qu’il y a eu entre 80 et 90 personnes formées pour être souffleurs d’images en 2018/2019 et qu’un gros tiers a répondu présent pour ces appels d’art solidaires, c’est une vraie réussite qui montre aussi combien ces initiatives sont nécessaires.
Catherine aime bien illustrer le principe des “Appels d’art” avec l’exemple d’Aurore, petite fille malvoyante de sept ans qui devait réaliser un tableau à la demande de son enseignante : “Ces rencontres téléphoniques autour d’objets artistiques sont aussi des moments de grande créativité. Par exemple, Aurore, âgée de 7 ans et malvoyante, a souhaité contacter l’équipe bénévole des Souffleurs d’Images pour participer au « Getty Challenge », un concours lancé par sa maîtresse d’école où des amateurs recréent des œuvres d’art chez eux et les publient sur Internet. Elle s’est ainsi lancée le défi de reproduire l’œuvre « Blanc » d’Auguste Herbin. Marine, bénévole souffleuse, a décrit l’œuvre à Aurore par téléphone afin qu’elle puisse la reproduire chez elle, avec l’appui de sa maman. Un « Getty Challenge » relevé haut la main grâce à la créativité d’Aurore et la grande pédagogie de sa souffleuse !
A gauche, l’original de « Blanc » de Auguste Herbin, à droite, la reproduction en peinture, par Aurore.
Outre les lectures, les visites virtuelles d’expositions ou de lieux historiques et patrimoniaux, l’exemple d’Aurore montre aussi la polyvalence et la souplesse du dispositif.
Une expérience : un voyage dans le temps et un temps de partage
Parmi les cent cinquante demandes réalisées à la fin du mois d’avril (rappelons que le premier soufflage d’art s’est fait le 20 mars dernier), nous avons eu l’occasion de faire un soufflage en visitant l’exposition “Paris 1900” qui a eu lieu au Petit Palais en 2015 et qui est disponible en ligne. Nous avons fait cette visite qui a duré un peu plus d’une heure en compagnie de G. Chacun installé derrière nos téléphones, nous avons ainsi visité l’exposition universelle de 1900, en nous promenant aussi parmi les œuvres de l’époque Art Nouveau. Bon, ce n’est pas tout à fait comme cela s’est passé. La première chose que nous avons cherché à savoir, c’est si G. connaissait l’Art Nouveau et s’il avait des envies particulières au sein de cette exposition dont nous avons alors lu les différentes parties disponibles en ligne. G. n’ayant pas de demande particulière, nous sommes donc partis visiter l’exposition. Après la description d’une vue aérienne de l’exposition et celle (un peu hésitante, avouons-le) de la porte d’entrée monumentale, nous sommes partis découvrir des bijoux réalisés dans la période Art Nouveau, puis des vases dont un d’Emile Gallé, des tableaux, des sculptures dont un buste de Rodin par Camille Claudel. En décrivant ce buste, visible ci-dessous, le contraste entre le poli du visage et le brut des cheveux et surtout de la barbe, nous avions une grande envie de toucher ce buste.
Buste de Rodin par Camille Claudel
A ce moment, G. a demandé ce que nous ressentions devant ces œuvres, trouvant nos description très… descriptives. C’est vrai que le buste de Rodin laisse difficilement indifférent mais dans une exposition, toutes les pièces exposées ne suscitent pas les mêmes émotions. Par ailleurs, si on demande aux souffleurs d’être à l’écoute de l’utilisateur, on nous demande aussi de transmettre des informations. Trouver la bonne distance entre subjectivité et objectivité?
Il nous a fallu une bonne heure pour passer à travers la description non exhaustive d’un certain nombre d’œuvres ainsi que de textes qui permettaient d’introduire le contexte de l’exposition et des thèmes tel celui de la Parisienne. Qu’est-ce qui définit la Parisienne? Un texte, des tableaux, des “réclames” pour décrire l’allure de la Parisienne… En échangeant tous les deux, nous sommes arrivés à la conclusion qu’il devait s’agir d’une certaine allure liée aussi à une façon de se vêtir… Nous étions à plusieurs centaines de kilomètres l’un de l’autre mais nous avons vraiment visité cette exposition ensemble. C’était une première expérience pour chacun d’entre nous. G. a d’ores et déjà retenté l’aventure. Quant à nous, la deuxième a capoté pour des raisons techniques mais nous persisterons. Sans la demande de G., nous n’aurions probablement pas visité virtuellement cette exposition, soufflage pour lequel nous nous étions porté volontaire. Mais ce fut un très bon moment, intense certes, mais riche en partage, en échanges. Être à l’écoute tout en essayant de décrire au mieux les objets, tenter de saisir les émotions dans une œuvre, d’identifier ses caractéristiques pour les transmettre… C’est aussi un engagement mais quelle satisfaction !
Et après le “déconfinement”?
Ces “Appels d’Art” sont d’ores et déjà un succès. Et s’il est trop tôt pour faire un bilan, Catherine a des retours très positifs. Lors de notre entretien, elle a ainsi raconté ce qu’une dame lui avait dit après un appel d’art : « j’ai perdu la vue au cours de la vie et je suis retournée dans un musée que j’avais visité quand j’étais voyante et grâce à l’échange et au rapport qu’on a eu, j’ai retrouvé des images et j’ai rêvé en couleurs, et ça faisait longtemps que je n’avais pas rêvé en couleurs”. Difficile, dès alors, de s’imaginer que ces “Appels d’Art” ne restent qu’un épisode lié au confinement. Nous avons donc posé la question de leur avenir à Catherine Mangin. Elle a commencé par dire : “je pense qu’on ne va pas pouvoir s’arrêter comme ça”. Puis après, surviennent les questions d’un fonctionnement hors “phase test” dans un monde où certains auront retrouvé le chemin du travail, avec, probablement, moins de temps libre. Catherine dit ainsi : ” Là, ça fonctionne actuellement parce que beaucoup de gens sont en chômage partiel ou confinés, et qu’ils ont le temps pour faire un soufflage. Au moment de la reprise, je ne sais pas quels bénévoles vont pouvoir avoir encore du temps pour continuer à souffler. Et même pour les utilisateurs, il y en a certains qui me disent « moi, j’en profite avant le 11 mai parce que je vais peut-être devoir retourner travailler » donc je ne sais pas encore mais ça se fera sans doute. Dans sa forme actuelle, j’ai l’impression qu’elle fonctionne plutôt bien, il y aura sans doute moins de demandes mais oui, l’idée, ce serait de tirer des conclusions de tout ça, de le modéliser et de proposer une offre optimale, parce que là, on n’a pas encore de recul sur l’impact de la proposition”.
Pour momentanément conclure
Même si le déconfinement s’annonce, nous ne savons rien encore de la reprise des activités culturelles, à part cette notion plutôt vague de “petits musées”. Souffler à l’oreille la description d’un costume ou d’un décor nécessite une proximité physique incompatible avec les gestes barrières. Espérons cependant que nous pourrons reprendre le chemin des musées, des salles de spectacle et des théâtres dans les prochains mois. En attendant, la mise en place de ces “Appels d’art” a permis d’atteindre un public différent du public habituel des Souffleurs tout en restant fidèle au principe initial de l’échange et de la rencontre, même par téléphone… En ces temps d’isolement, c’est une vraie bouffée d’oxygène et pour l’utilisateur et pour le souffleur. Pendant une heure, nous quittons par la pensée nos logements dans lesquels nous sommes confinés depuis un mois et demi, et nous nous évadons à la découverte de lieux, d’objets fascinants. C’est un vrai luxe… solidaire.”
Article à consulter sur le blog de Vues intérieures, en cliquant sur ce lien .