Souffleuse d’Images

Sur fond blanc est écrit l'école des parents en lettre rouge

Parue dans le magazine “L’école des Parents”
Le 1er octobre 2020
Par Patricia Khenouna

Catherine Mangin, responsable de Souffleurs d’Images, un service du Centre Recherche Théâtre Handicap à Paris. Elle prête ses yeux à des personnes aveugles et malvoyantes le temps d’une représentation théâtrale, de la visite d’une exposition ou de la lecture d’un livre.

Lucie, 80 ans, est dans tous ses états : “Ma machine à lire en braille vient de rendre l’âme ! Il me reste encore 100 pages d’un livre captivant.
– Lequel ? demande Catherine Mangin,
– L’Education sentimentale,
– Je préviens tout de suis mon réseau. Si un souffleur l’a, il pourra te lire la fin à distance.”

En une semaine, Catherine déniche la perle rare…
“Plus jeune, je voulais être comédienne!” avoue cette trentenaire originaire de Metz. Au lycée, pour rien au monde elle n’aurait manqué les cours de théâtre. Après une licence de “géographie et environnement du territoire” puis cinq ans au conservatoire de Nancy, elle s’installe en région parisienne et se rend à l’évidence : sans contacts, ses chances de percer sont minces. Elle entreprend alors des études de sociologie culturelle. “Je me suis intéressée à la manière dont les publics souffrant d’un handicap sensoriel, et plus particulièrement visuel, perçoivent une œuvre théâtrale. J’en ai fait mon sujet de master.”

Une découverte

En 2014, Catherine tombe par hasard sur le site de Souffleurs d’Images et rejoint immédiatement les rangs des bénévoles. “Ce service est né en 2009 sous l’impulsion du comédien-metteur en scène Pascal Parsat, également fondateur du CRTH” explique-t-elle. Il compte 500 bénévoles, essentiellement des étudiants en histoire de l’art ou en arts vivants, qui interviennent surtout en Ile-de-France. Cependant, avec 130 partenaires en France- le festival Off d’Avignon, Marionnettissimo à Tournefeuille (Haute-Garonne), les Zébrures d’automne à Limoges, etc…sans oublier les principaux musées, dont le Mucem, à Marseille-, la province n’est pas oubliée. Et l’apport de diverses subventions publiques et privées garantit la gratuité du service aux 200 utilisateurs.

L’art du soufflage

“Je me souviens de l’un de mes tout premiers soufflages, en 2015. J’accompagnais une dame de 80 ans au théâtre de Saint-Maur-des-Fossés pour une représentation des Cavaliers, de Joseph Kessel, mise en scène par Eric Bouvron. Comme elle avait été costumière à l’opéra avant de perdre la vue, elle m’avait demandé de me focaliser sur les costumes. Pas de chance ! Avec quatre comédiens pour seize rôles, le changements étaient incessants. Afin de ne pas m’emmêler les pinceaux, je les avais désignés par des noms de code ! A l’issue du spectacle, nous sommes allées dans les loges pour qu’elle puisse toucher les tissus. Elle m’a demandé : “As-tu compris ce que le choix de telle matière et de telle couleur raconte sur un personnage ?” La médiation venait de s’inverser. C’est la personne aveugle qui m’ouvrait le regard.”
Embauchée en 2016, Catherine chapeaute aujourd’hui le service et forme plus d’une centaine d’aspirants souffleurs chaque année. Le soufflage relève de l’improvisation, puisqu’il répond aux sollicitations du spectateur. “Pas question de souffler en continu. Au théâtre, nous convenons au préalable d’un geste (une tape sur la cuisse par exemple) et intervenons à la faveur d’un changement de décor ou entre deux répliques.”
La visite d’une exposition dure entre une heure et une heure et demie – le temps de souffler six œuvres. “Je propose au visiteur de lui lire d’abord les textes de présentation, puis j’entre dans le détail. Pour lui indiquer la dimension d’un tableau, par exemple, j’écarte ses mains.”

Laurence, 77 ans qui a perdu la vue à 28 ans, a visité cette année l’exposition “Turner, peintures et aquarelles” (musée Jacquemart-André, à Paris) avec Claire, une jeune comédienne. “Je connaissais les toiles pour les avoir admirées jadis à la Tate Gallery à Londres, raconte-t-elle. En écoutant Claire me décrire la lumière qui tombait sur un navire, j’ai été brusquement projetée cinquante ans en arrière et j’ai tout revu. C’était magnifique!”

Les Appels d’art contre l’isolement

Au printemps, à l’annonce du confinement, Souffleurs d’Images a cessé les accompagnements physiques. S’ils reprennent aujourd’hui progressivement, cette parenthèse a permis à l’association d’imaginer d’autres formes de solidarité, comme de “proposer les soufflages d’exposition par téléphone aux publics en situation de précarité et d’isolement, un grand nombre de musées ayant mis en ligne gratuitement leurs expositions : “Hugo et l’océan”, “Pompéï”…” Le 20 mars, l’opération Appels d’art voyait le jour. Avec 380 appels passés à ce jour, c’est un succès.

Catherine ne regrette pas ses choix. “Je me sens infiniment mieux dans le rôle de spectatrice que dans celui de comédienne. Et je suis touchée par les liens d’amitié qui naissent souvent de ces soufflages.” Aux dernières nouvelles, un spectateur aveugle et une bénévole seraient en train de composer une chanson. N’en soufflez mot à personne, c’est encore top secret.