Le Centre Recherche Théâtre Handicap (CRTH), à Paris, propose aux personnes déficientes visuelles un service d’accompagnement unique en France. Il leur permet d’assister à un spectacle de danse, de théâtre ou de se rendre à une exposition en compagnie d’un “souffleur d’images”. L’objectif étant de démocratiser et d’autonomiser les pratiques des spectateurs malvoyants ou aveugles. Explications avec Catherine Mangin, chargée des “Souffleurs d’Images” et partenariats au CRTH, et Paule Havrez, utilisatrice
Comment est né ce service inédit d’aide aux personnes malvoyantes ?
Catherine Mangin : Tout a commencé au Centre Recherche Théâtre Handicap (CRTH), à Paris, qui a pour objectif de rendre la culture accessible aux personnes en situation de handicap. Et qui développe ses actions notamment autour d’une école de théâtre inclusive, ouverte à tous : Acte21. Lors d’une sortie, en 2009, les enseignants se sont aperçu que les élèves voyants soufflaient naturellement aux non-voyants pendant le spectacle. Fort de cette expérience de terrain, le CRTH a donc décidé de réfléchir à une formation de souffleur d’images. Une première en France ! Notre objectif était et reste simple : permettre à une personne déficiente visuelle d’accéder à l’événement culturel de son choix, une exposition, un spectacle de danse, une pièce de théâtre… en étant accompagnée par un ou une bénévole, pour qu’il lui souffle les éléments qui lui sont invisibles.
Faut-il avoir un profil spécifique pour devenir souffleur ?
CM : Nos souffleurs sont soit étudiants en art, soit professionnels de la culture, soit artistes eux-mêmes. Chacun témoignant d’un domaine de compétence en lien avec le spectacle qu’il va souffler. Ce qui les motive, c’est l’idée d’accompagnement ; et la possibilité de vivre une œuvre de façon différente. Aujourd’hui, nous fonctionnons avec trois équipes distinctes. Une équipe de souffleurs chargés des expos : ils sont médiateurs de musée ou étudiants en arts dramatique. Et une équipe de souffleurs-danseurs pour les spectacles de danse. Moi-même j’ai été formée en 2014. A l’époque, j’avais une pratique de comédienne et j’étais également comédienne en communication. Et c’est par le biais de mon sujet de Master : “La pratique spectatorielle d’une personne personne aveugle et malvoyante au théâtre” que je me suis intéressée à cette formation. Jusqu’à devenir responsable du service “Souffleur d’Images” au CRTH, en 2016 !
En quoi consiste, précisément, la formation des souffleurs d’images ?
CM : L’enjeu principal de cette formation, qui dure 3 heures et demi, est de mettre en situation le futur souffleur. D’abord en l’emmenant dans la rue avec un bandeau sur les yeux. Ensuite en lui proposant un temps d’échange sur la cécité. Et enfin en le mettant en situation de soufflage, par le biais d’exercices de description de tableaux, par exemple. Sachant qu’il sera tour à tour souffleur et soufflé (avec à nouveau un bandeau sur les yeux). C’est une méthode qui fonctionne bien : depuis 2009, 130 souffleurs ont été formés. Et je ne vais jamais les chercher : ils arrivent à nous par le bouche-à-oreille.
Qu’est ce qui différencie cette pratique de l’audiodescription ?
Paule Havrez : On est beaucoup plus actif en tant qu’utilisateur et cela change tout ! Quand on suit un spectacle vivant en audiodescription, on a un casque, on écoute, mais on ne peut pas poser de questions ni avoir davantage d’informations sur un costume ou un décor. Avec un souffleur d’images à nos côtés, on est véritablement dans le partage. Car le souffleur est quelqu’un qui sait de quoi il parle et qui est à l’aise avec le handicap. Du coup, qu’on le connaisse ou pas, on est sur la même longueur d’onde. Moi qui ai perdu complètement la vue à l’âge de 20 ans, c’est grâce aux souffleurs d’images que j’ai pu revoir un spectacle de danse.
Par qui les événements sont-ils choisis ? Par le CRTH, par les lieux concernés ou par la personne utilisatrice du service ?
CM : Par la personne bénéficiaire du service, en priorité. Un service qui est gratuit : il est important de le rappeler !
PH : Voilà comment on procède… Partons du postulat que je veux voir un spectacle de danse à La Villette : je téléphone sur place et je leur dis que je serai accompagnée d’un souffleur ; puis je téléphone à Catherine qui s’occupe alors de mettre en place le partenariat, s’il n’existe pas encore, ou de régler simplement les modalités de notre venue. Sachant que je paie ma place mais que le souffleur, lui , est invité. De toute évidence, je n’y vais donc pas le jour même : il faut anticiper et s’organiser.
CM : Les personnes intéressées peuvent aussi consulter la liste des partenaires sur le site du CRTH et choisir leur spectacle ou leur exposition en fonction. On leur propose par ailleurs des parcours thématiques trandisciplinaires, qui se déroulent en plusieurs temps, dans différents endroits, sur l’année.
Comment procèdent le souffleur et le soufflé, une fois sur place ?
PH : On se retrouve un peu avant le spectacle, et l’on convient d’un code. Souvent, cela se passe dans la main: avec le bout des doigts, la souffleuse ou le souffleur me montre par exemple le mouvement des danseurs sur la scène. Comme la plupart du temps, en outre, on est placé devant, on entend bien les pas et les souffles des danseurs. J’aime aussi qu’on me décrive les costumes et les changements de décors. Tout cela me permet de comprendre, en “live”, ce que je ne peux pas voir. En outre, après le spectacle, il n’est pas rare qu’on en discute.
CM : De mon côté, j’attends que la personne me demande pour lui souffler un élément visuel. Et, quoi qu’il en soit, je souffle pendant les moments de silence sur le plateau. Cela ne pose jamais de problème car nous n’intervenons que dans des salles partenaires. Par ailleurs, nous prévenons toujours nos voisins immédiatement en arrivant. Et nous avons un badge “souffleur d’images” épinglé sur notre veste. Du coup, les spectateurs sont à la fois curieux et très bienveillants avec nous.
Dans combien de lieux publics ou non intervenez-vous aujourd’hui ? Et combien de fois sur une année ?
CM : Actuellement, nous fonctionnons avec une cinquantaine de partenaires en Ile de France, qui vont du musée du Louvre au théâtre de l’Aquarium ou de La Colline. Mais tous les partenariats sont bienvenus ! De ce fait, nous souhaiterions développer ce service en région. C’est en projet. Quant au nombre de nos interventions, il était de 215 sur la saison 2016/2017. Pour moitié dans des musées et pour moitié pour des spectacles vivants.
PH : C’est vrai que j’ai du mal à aller à un spectacle sans un souffleur d’images désormais. Parfois, j’y vais même en famille. Ca permet à mes enfants de se reposer sur le souffleur ! Et cela provoque un tout autre échange après …