Respect Mag : Ils murmurent à l’oreille des non-voyants

Article paru dans le magazine Respect Mag en Novembre 2018
Auteur de l’article :Sandra Coutoux

Paule, spectatrice aveugle et Catherine, souffleuse d'images s'installent dans le public de la Péniche. Paule à gauche tend une oreille attentive vers Catherine à droite qui regarde la scène en lui décrivant le décor.

Souffleurs d’Images est un service personnalisé et gratuit qui permet à des spectateurs aveugles et malvoyants de vivre une vie culturelle riche et variée grâce à l’accompagnement de bénévoles, formés à l’art de la description.

Ce soir-là, elles ont pris rendez-vous à quelques mètres du Canal de l’Ourcq, à Paris, pour se rendre ensemble à un spectacle de cabaret organisé sur la péniche Adélaïde. Paule, non-voyante, vient d’arriver à la sortie du métro, une canne blanche à la main. Elle retrouve celle qui sera ses yeux pour la soirée : Catherine, comédienne de formation et responsable du service Souffleurs d’Images. Paule a perdu la vue à l’âge de 20 ans. Elle n’a jamais renoncé à mener une vie culturelle bien remplie : « Je suis passionnée par le spectacle vivant : le théâtre et la danse me procurent des émotions incroyables », sourit-elle. Si les formes et les couleurs ne lui sont plus accessibles, depuis qu’une maladie inconnue a définitivement abîmé sa rétine, son imaginaire est en revanche bien fertile. Ce soir, Catherine est chargée de le nourrir et de réveiller sa mémoire visuelle en lui murmurant à l’oreille les éléments de la pièce à laquelle elles ont prévu d’assister.

Trouver les mots justes

Les comédiens de la troupe Les Cabarettistes et les élèves d’Acte 21 défilent sur la scène de la péniche, en enchaînant des sketches chantés plus déjantés les uns que les autres. Les dialogues sont drôles et piquants. Paule suit les interactions avec délectation. Catherine est assise à côté d’elle et lui décrit en chuchotant ce que Paule ne peut percevoir : les expressions des comédiens, les costumes loufoques, les gestes silencieux. Tous ces éléments donnent un supplément d’âme aux dialogues déjà bien savoureux. Pas question cependant pour Catherine d’interpréter la pièce, la jeune femme est avant tout là pour répondre aux demandes de Paule.

Elle décrit les détails de certaines scènes avec une infinie discrétion. « C’est avant tout un échange, une rencontre, il y a une forme d’intimité qui se crée entre le souffleur et le non-voyant. On stimule l’imaginaire », explique Catherine. Lors de ses études en sociologie culturelle, la jeune femme s’est intéressée aux pratiques des spectateurs aveugles et malvoyants au théâtre et s’est formé à leur accompagnement. Aujourd’hui, elle forme les nouveaux souffleurs d’images. Quatre heures de formation pour comprendre leur rapport à l’espace, aux œuvres et leur façon d’appréhender le monde environnant. “Il y a des personnes qui possèdent la notion des couleurs et des formes et d’autres pas du tout, car elles sont aveugles de naissance. Il est nécessaire de s’adapter à chaque personne, et pour cela il est important d’être à l’écoute de l’autre”, précise-t-elle.

200 bénévoles sont inscrits dans les fichiers du service depuis sa création en 2009. Cette dernière recherche essentiellement des étudiants en art ou des professionnels de la culture pour nourrir les rangs des souffleurs. L’objectif est de partager avec les personnes en situation de handicap visuel.

Retrouver de l’autonomie

Avant de faire appel aux Souffleurs d’images, Paule assistait à des spectacles en utilisant le service d’audiodescription disponible dans certains théâtres en France. « C’est très différent. On est tout seul avec un casque sur les oreilles et la pièce est décrite par un professionnel de l’audiodescription. C’est beaucoup plus impersonnel selon moi », précise Paule. Le jeu des acteurs, les effets de lumière sont expliqués au fur et à mesure du spectacle. Les théâtres ne proposent d’ailleurs pas ce service, et cela limite les possibilités pour les personnes déficientes visuelles de choisir librement leurs sorties.

En étant accompagnée par des souffleurs, Paule a retrouvé une forme d’autonomie : « Je choisis un spectacle ou une exposition et le service me propose d’y aller accompagnée d’un bénévole qui partage mes goûts », souligne-t-elle. Plus d’une centaine de personnes utilisent régulièrement ce service pour se rendre dans les lieux culturels d’Île-de-France. Certains usagers résidant dans d’autres régions françaises n’hésitent pas à solliciter le service lorsqu’elles sont de passage à Paris.

Un service unique en France

Souffleurs d’Images est un service de l’association CRTH (Centre recherche théâtre handicap), une structure culturelle née en 1993 à Paris, dont l’ambition a toujours été de défendre la vision d’une société inclusive. « Nous croyons profondément en la valeur de chaque individu et à la richesse qu’il apporte au collectif, quels que soient son origine, sa position sociale, son handicap ou non », peut-on lire dans le document de présentation du service. La démarche proposée par les Souffleurs d’Images contribue à tisser du lien entre les valides et les personnes en situation de handicap visuel. Catherine le confirme, sa relation avec Paule s’est renforcée au fil des spectacles partagés, comme le dit cette dernière : « Nous avons vécu de belles émotions lors d’un spectacle de danse et nous aimons nous retrouver. Ce qui est intéressant dans notre échange, c’est l’intimité émotionnelle qui se crée à travers des œuvres artistiques. »

Le succès du service pourrait bien accélérer son développement au-delà des frontières de la capitale. Actuellement plus de 80 lieux culturels, du Grand Palais, en passant par des théâtres nationaux et des musées, sont partenaires des Souffleurs d’Images, à Paris. L’objectif de l’association, dans les années à venir, est d’étendre ce service à d’autres villes françaises afin de permettre à davantage de personnes non voyantes de bénéficier de ce service personnalisé et gratuit.

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