Article paru dans l’hebdomadaire Femme Actuelle
Du 25 au 31 janvier 2021
Par Isabelle Gravillon
Catherine Mangin, 31 ans, est responsable de “Souffleurs d’Images”, un service du Centre Recherche Théâtre Handicap à Paris (CRTH). Arrivée comme bénévole il y a quelques années, elle s’est passionnée pour sa mission auprès de personnes privées de la vue, au point d’en faire son métier. www.souffleurs.org
Catherine est souffleuse d’images : au théâtre ou dans les expos, elle raconte le spectacle à ceux qui ne voient pas.
Au lycée, je m’étais inscrite à des cours de théâtre pour dépasser ma timidité et entrer plus facilement en relation avec les autres. Après avoir passé le bac, j’ai suivi les cours du Conservatoire d’art dramatique de Nancy, parallèlement à mes études. Puis je suis venue à Paris, attirée par cette ville de culture, avec le désir d’essayer de percer en tant que comédienne. En réalité, j’ai assez vite renoncé à mon rêve d’ado, sans regrets. Monter sur les planches pour jouer ne m’aurait pas suffi. J’avais besoin de réfléchir, de théoriser. J’ai donc continué mes études à l’université, sans trop m’éloigner de l’univers du théâtre, avec un master Arts de la scène et du spectacle vivant.
“J’ai eu envie de m’intéresser aux spectateurs”
Pour les besoins d’un mémoire, j’ai eu envie de m’intéresser aux spectateurs. Particulièrement à ceux qui ne voient pas ou mal. Que perçoivent-ils d’une représentation théâtrale sans la vision du décor, des costumes, de l’expression corporelle des comédiens ? Et comment les aider à mieux profiter du spectacle ? Ces questions me titillaient. C’est comme ça que je me suis proposée comme bénévole auprès du service Souffleurs d’Images, découvert au gré de mes recherches. Le principe : une personne en situation de handicap visuel choisit un spectacle (théâtre, danse, marionnettes, cirque) ou une exposition, et demande à être accompagnée par un souffleur qui lui décrira ce qu’il se passe ou ce qu’il voit en chuchotant à son oreille.
“Allais-je trouver les bons mots, les bonnes images ?”
Après une courte formation, je me suis lancée. Je sentais peser sur moi une immense responsabilité. J’allais être les yeux de ces personnes : allais-je trouver les bons mots, les bonnes images à leur souffler ? Mon tout premier soufflage a été assez catastrophique ! J’étais tétanisée à l’idée de faire des gaffes et d’utiliser des mots maladroits du genre “C’est clair” ou “Tu vois”. A chaque fois que j’étais sur le point de parler, je révisais la sémantique de mes phrases et je restais en apnée….pendant que le spectacle filait. La femme que j’accompagnais a fini par me demander ce qui n’allait pas, je lui ai expliqué mon embarras et elle a bien ri. Elle m’a raconté qu’elle-même disait souvent à ses copines : “On se voit ce week-end!” Ca m’a débloquée.
“Grâce à elle, mon regard sur les costumes a changé”
A mes débuts, un soufflage m’a marqué. J’accompagnais une dame de 80 ans pour une représentation des Cavaliers de Joseph Kessel. Avant de perdre la vue, elle avait été costumière à l’Opéra. Elle m’a donc demandé de me focaliser sur la description des costumes. La tâche était ardue car les quatre comédiens en scène interprétaient chacun quatre rôles et se changeaient constamment. J’ai fait du mieux que je pouvais, essayant de percevoir à distance (nous étions placées dans le fond) les matières, les formes, les détails. Et quand le vocabulaire me manquait, mon adorable voisine venait à mon secours : “Ce col que tu me décris, c’est peut-être un col Mao, non ? ” A la fin du spectacle, les comédiens nous ont accueillies dans les loge afin qu’elle puisse toucher les tissus. Et là, elle s’est mise à me raconter son métier, toutes les recherches nécessaires pour créer un costume qui corresponde vraiment au personnage. Depuis, je pose un oeil plus affûté sur ces vêtements, ils ajoutent à ma compréhension de la pièce. Ce jour-là, la transmission s’était inversé.
” Un soufflage implique une grande proximité physique”
Un soufflage relève toujours de l’improvisation car il doit s’adapter aux attentes de chaque spectateur. Vingt minutes avant le début de la pièce, je retrouve la personne que j’accompagne, nous faisons connaissance et je lui demande ce qu’elle souhaite privilégier. Pour certaines ce sont les costumes, pour d’autres les décors ou les effets de scènes, pour d’autres encore la physionomie des comédiens. Certaines aiment que je prenne l’initiative de la parole, par exemple entre deux répliques ou à la faveur d’un changement de décor. D’autres préfèrent que nous convenions d’un code – comme une tape sur la cuisse – qu’elles utilisent pour me solliciter aux moments où elles le souhaitent. Un soufflage implique toujours une grande proximité physique avec la personne que j’accompagne puisque nous sommes côte à côte, épaule contre épaule, mes lèvres collées à son oreille. Avec l’expérience, je suis devenue une souffleuse beaucoup plus naturelle et spontanée qu’à mes débuts : cela permet de vraies rencontres.
“La crise sanitaire nous a poussés à innover”
Après un an de bénévolat, j’ai fait un stage de master au sein du service Souffleurs d’Images. J’ai contribué à la création d’un site internet accessible au public malvoyant et qui présente la programmation de chaque lieu culturel. J’ai réfléchi à la manière de faciliter les déplacements des malvoyants jusqu’aux lieux de culture. Devenue la responsable du service, je m’occupe de la formation de 500 bénévoles, tous artistes ou étudiants en arts. Ainsi, nous envoyons un souffleur en fonction des spectacles : une chorégraphe pour de la danse, un étudiant en histoire de l’art pour une expo… Nos prestations étant gratuites, je passe beaucoup de temps à chercher des subventions. Et bien sûr, les dons des particuliers sont les bienvenus !
Avec l’épidémie, la fermeture des lieux de culture a entravé nos activités. Mais nous proposons des soufflages par téléphone, à partir des contenus mis en lignes par des musées, théâtres… Cette opération, Appels d’art, a rencontré un franc succès et nous a permis de toucher un public bien plus large comme des personnes isolées, précaires, pensionnaires d’Ehpad. La crise nous a poussées à innover.”